Atget, photographe documentaire, mais pas que

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Joueur d’orgue, 1898, Paris. 

Qu’est ce qui dans l’œuvre d’Eugène Atget a pu à la fois fasciner les surréalistes, les archives et les musées parisiens, ainsi que Walter Benjamin? Qu’est ce qui donne à son oeuvre ( monumentale puisque ses clichés se comptent par milliers en séries maniaques) cette ambivalence? est-ce une œuvre artistique? Documentaire? Humaniste? Sociale?

Ce qui frappe à la lecture de la biographie d’Eugène Atget c’est l’apparente modestie avec laquelle il décrit son travail. Bien que gravitant dans le monde artistique parisien de la fin du 19ème siècle, il semble se mettre à sa marge. Il considère son travail photographique comme celui d’un ouvrier, s’appliquant à donner de la “matière première” aux peintres, apparemment sans penser que ses photos pouvaient être des ouvres d’art. 

La photographie est alors un médium moderne dont ne se sont pas encore pleinement saisis les artistes pour en faire des œuvres d’art. L’intérêt premier de la photo reste sa relative instantanéité, qui lui donne une valeur de “preuve” en capturant l’instant présent. C’est sans doute dans ce but qu’Eugène Atget parcoure les rues de Paris vouées à la démolition pour en garder des traces. Les mutations de Paris ont fait couler beaucoup d’encre parmi les contemporains de cette époque. Que ce soit pour célébrer la modernité des travaux (synonyme pour les défenseur de sécurité et de salubrité publique) ou au contraire regretter la disparition des signes des “temps anciens”, commenter les changements indique qu’il y a un malaise autour des mutations sociales plus générales de la vie moderne. Atget, sous couvert de récolter des images pour documenter le travail des peintres, fait un vrai travail de sociologue et d’historien du présent. 

C’est en le comparant à un Balzac photographe que  Bérénice Abbott nous donne une clé de lecture de son oeuvre: « On se souviendra de lui comme d’un historien de l’urbanisme, d’un véritable romantique, d’un amoureux de Paris, d’un Balzac de la caméra, dont l’œuvre nous permet de tisser une vaste tapisserie de la civilisation française. »

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Bitumiers, 1899-1900, Paris.

Avec cette photographie Atget nous donne à voir un travail sur le point de disparaître. En effet, quelques années après ce cliché ce sont des machines qu’il aurait photographiées couvrant le sol d’un bitume lisse. Si l’image est sur exposée, elle renvoie à la clarté d’une belle journée d’été. Quoi que les détails dans les hautes lumières soient perdus, les hommes affairés sont eux parfaitement exposés et leurs gestes figés pour l’éternité. La manière dont se tiennent les hommes aillant un genoux à terre est très vraisemblablement éreintante. L’homme debout, portant une jarre remplie de bitume n’est pas moins à plaindre. Sa posture et la ceinture que l’on devine autour de sa taille pour protéger ses reins fatigués nous renvoient à une vie de dure labeur. La photographie d’Atget est simple, le cadrage est bas, comme pour se mettre à hauteur de ces hommes qui passent leur vie courbée. Le caractère documentaire est évident, mais cela n’empêche pas au photographe de nous plonger dans la vie de ces hommes.  

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Marchande de mouron, 1899, Paris. 

Sa série sur les métiers oubliés de Paris est ainsi représentative de cette volonté de capter un changement d’avantage de que capter un fait. Pourquoi choisir de montrer les petits métiers des rues ou plus exactement les personnes qui les exercent? Car ces métiers sont déjà en train de disparaître avec les rues qui les abritent. En les fixant sur les plaques de sa chambre photographique, Atget fixe à la fois une réalité quotidienne, un paysage urbain, mais aussi une situation et des figures amenées à disparaître dans un avenir proche en se mettant à hauteur d’homme. Ses clichés sont loin d’être folkloriques

La Marchande de mouron est sur ce point assez révélatrice de l’humanité avec laquelle Atget prend ces clichés. Contrairement à la série sur les rues vides de Paris, ici c’est clairement la femme qui est photographiée. Son visage est net et presque au centre exact du cliché. Elle nous regarde droit dans les yeux et son sourire est franc. Elle est assise sur le trottoir et on imagine que le photographe a du se mettre à sa hauteur avec son appareil encombrant. On remarque ensuite que la femme porte un enfant endormi dans ses bras, au même plant que le mouron qu’elle vend. Son activité ainsi que la rue tout autour plonge peu à peu dans le flou, comme si l’intérêt n’était plus l’activité de cette vendeuse, ni le lieu de cette activité mais sa seule présence. Son regard et son sourire n’en sont que plus hypnotiques.

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Porte d’Italie : zoniers.

La série des photos sur les zoniers à été un travail de commande pour Atget. Là encore son travail se divise en deux courants: la volonté de rendre compte fidèlement de ce qu’il voit et d’en donner une vision humaine. Il photographie ce bidonville avec le même soin qu’il photographie les devantures de boutiques ou les immeubles parisiens. Les nuances de gris mettent en valeur les détritus ce qui rend l’image incongrue.

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Eugène Atget, Romanichels, groupe, 1912, Gelatin silver printing-out-paper print, 21.2 x 17 cm, The Museum of Modern Art, New York, Abbott-Levy Collection, Partial gift of Shirley C. Burden.

Tout comme la marchande de Mouron c’est un visage fier de femme qu’on remarque de suite au centre de l’image. Là encore le photographe se place à hauteur de ses modèles et s’applique à en faire le sujet principal du cliché.

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